LA TRACE DE L'AUTRE

L'image du souvenir, 2010-2011.

 

 

La crémation est terminée. J'ouvre la porte de l'appareil, la chaleur effleure mon visage. Un bref regard à l'intérieur, seulS restent les os et quelques objets personnels. J'enfile mes gants, je prends mon ringard et fais glisser la matière dans un cendrier. A l'aide d'un aimant, je récupère les parties métalliques puis, extrais les objets afin qu'il ne reste que les os. Puis, comme le gardien du passage à l'état de poussière, je dépose les os dans une machine permettant de les réduire en cendres.

 

J'ai trouvé grand nombre d'objets transformés par l'appareil de crémation. A ma grande surprise, le premier était une machine à rouler des cigarettes, appartenant à un homme décédé d'un cancer des poumons. Puis une succession d'objets tout aussi surprenants, comme le compas de géomètre d'un franc-maçon, un morceau de masque vénitien, la montre d'un homme, le coupe ongle d'un bricoleur et la tasse à café ébréchée d'un homme. Aussi, je retrouve régulièrement des pièces de monnaie par paire, une vieille croyance affirmerait que déposées sur les yeux, elles ouvriraient le passage vers l'autre monde. Interpellée par ces objets, trace du passage des défunts, j'en ai photographié certains, qui d'après moi sont la continuité de leur portrait.

 

La démarche que j'ai entreprise lors de la réalisation de ces images est une réflexion sur ce qu'il reste lorsqu'une personne disparaît. J'ai remarqué que l'objet que l'on dépose en souvenir, sur le cercueil de celui qui est parti, a une grande signification pour ses proches. Cet objet devient la représentation de ce qu'il a été, son portrait en quelque sorte. J'ai donc réalisé une série de portraits de ces inconnus que j'ai accompagné vers un autre monde. Lorsqu'on réalise un portrait, l'image qui se crée n'est pas la représentation exacte et juste de ce qu'est la personne. C'est une interprétation. Dans le cas où une personne disparaît, l'objet devient en l'absence de corps une sorte d'avatar. Je me suis donc intéressée à la symbolique de ces objets, dressant chacun le portrait de personnes disparues. Leurs histoires se concentrent en un même objet qui devient la trace de « ceux » qu'ils ont été.