DES CHAMBRES IMAGINAIRES
Projection mentale de l'espace du repos, 2012-2013.
« C'est couché à plat ventre sur mon lit que j'ai lu Vingt ans après, L'île mystérieuse et Jerry dans l'île. Le lit devenait cabane de trappeurs, ou canot de sauvetage sur l'océan en furie ou baobab menacé par l'incendie, tente dressée dans le désert, anfractuosité propice à quelques centimètres de laquelle passaient des ennemis bredouilles. J'ai beaucoup voyagé au fond de mon lit. » Georges Perec, Espèces d'Espaces, 1974. (citation précédée de Lit= île de Michel Leiris)
Michel Leiris assimilait l'espace du lit à une île. Un endroit où l'on se repose, un espace qui nous appartient et dans lequel on voyage. Le lit est un objet personnel que l'on ne partage pas avec autrui. Autour de cet objet se dessine une chambre dans laquelle on trouve une table de nuit, une lampe, un tapis ou une commode. L'espace du sommeil se meuble de façon à ce qu'il soit confortable. On visualise bien souvent la chambre au sein d'un appartement, d'une maison ou d'un hôtel. Mais qu'en est-il du lieu de repos lorsqu'il se trouve à l'extérieur? Les populations mal-logées ou sans domicile fixe se trouvent confrontées à des lieux hostiles et inadéquats pour installer leurs espaces d'intimité. Le mode de vie (choisi ou non) de ces personnes vivant à l'extérieur ne détériore pas leur capacité mentale à projeter l'espace de la chambre. Le rituel du coucher transforme alors l'extérieur en multiples lieux de repos. Une place devient un dortoir avec des lits individuels, un pont au bord de la Saône se transforme en chambre avec vue.
Pourquoi choisir un terrain comme celui des SDF pour y établir mon travail de projection mentale? En effet, l'espace des sans domicile fixe est chargé de contraintes et de systèmes D qui ne semblent pas offrir la possibilité de laisser libre cours à son imaginaire. Pourtant, vivre dehors ne dépossède pas les individus de leur capacité à codifier l'espace. Lorsqu'on emménage dans un appartement, nous visualisons le lieu de façon à l'agencer de la meilleure façon, il en est de même pour ceux qui vivent à l'extérieur. J'ai cherché à travailler sur la notion de l'espace et celle du lieu intime. Les dessins réalisés pour ce projet sont des codifications fictives des « chambres nomades » que j'ai aperçue lors de mes balades photographiques.